JDC : L’invité : François Dominici, président de la CADEC

« Nous fonctionnons déjà comme une banque régionale »

Créée en 1982 pour répondre à la mise en place de la décentralisation, la Caisse de Développement de la Corse a été l’une des trois seules Sociétés de Développement Régional (SDR) de France ayant échappé, dans les années quatre-vingt-dix, au dépôt de bilan. Sous l’impulsion d’une équipe dirigeante particulièrement active, elle s’est attachée, durant cette période, à redresser la barre, éviter le naufrage et combler son déficit. La CADEC a redémarré, en 2010, une activité normale. Forte d’une crédibilité aujourd’hui retrouvée, elle entend jouer pleinement son rôle de levier de l’économie insulaire. Rencontre avec François Dominici, son président…



JDC : L’invité : François Dominici, président de la CADEC
La plupart des Sociétés de Développement Régional créées au début des années quatre-vingt, ont déposé le bilan une dizaine d’années plus tard. Comment l’expliquez-vous ?
 
Le système était quelque peu vicié. Les SDR n’ont pas de dépôt de fonds, leurs clients ne déposant pas d’argent chez elle, comme dans les banques. Pour pouvoir distribuer des fonds, elles devaient les acheter sur le marché obligataire, auprès de la BEI, Caisse des Dépôts et Consignation, Crédit Foncier, etc mais à un taux relativement élevé. Pour pouvoir acheter à des taux faibles, une société mère a été créée : Finance-Der. Cette société a acheté l’argent dont avait besoin l’ensemble des SDR et elle les répartissait en fonction des besoins de chacune. Mais au passage, elle prenait sa marge, tout comme les SDR. Peu à peu, on s’est retrouvé avec des taux d’intérêts énormes, mal supportés par les entreprises. Ils avoisinaient les 13 ou 14% alors que celui du marché n’excédait pas 6%. Ce taux a eu des effets néfastes sur les entreprises. Si l’on ajoute à cela la dévaluation de la Lire et du Pesetas, puisque nous étions sur des monnaies nationales, les SDR, souvent portées sur des opérations relatives à l’hôtellerie, ont connu d’énormes difficultés. Et ce fut le cas de la CADEC.
 
Comment la CADEC a-t-elle vécu cette période ?
 
Elle n’avait pas de ressources propres puisqu’elle ne distribuait que ce qu’elle achetait mais elle était obligée de régler ses dettes sans encaisser d’argent. Et c’est devenu, à un moment donné, impossible. D’autant que la situation économique de la Corse n’arrangeait pas les choses avec, bien souvent, les syndicats qui prônaient le non paiement des taxes et de la CADEC.
 
Vous êtes arrivé en septembre 1997 à la tête de cet organisme. Quelle était, alors, la situation de la CADEC ?
 
Nous avions 280 millions d’euros de dettes. Depuis 1993, le Crédit Hôtelier n’existait plus et tout ce qui relevait de l’hôtellerie était porté par la CADEC. Elle avait injecté, au début des années quatre-vingt dix, 50 millions d’euros pour accompagner l’hôtellerie. Quant on injecte une telle somme et que l’on n’est pas remboursé, cela devient compliqué. Le dépôt de bilan était tout proche. Il y avait, d’une part, la survie de l’organisme, et d’autres part, les conséquences qu’un tel dépôt de bilan allait générer en Corse à la fois sur le système bancaire insulaire et surtout pour les deux actionnaires principaux : l’Etat (67%) et l’Assemblée de Corse (33%).
 
En quoi a consisté votre travail ?
 
Dans un premier temps, il a fallu récupérer les contentieux, qui représentaient 70 à 75% et les impayés. On a restructuré les prêts et réorganisé les en-cours et rétabli progressivement la situation. J’ai eu la chance d’être accompagné par Jean-Claude Guazzelli, qui connaît parfaitement l’économie et le secteur bancaire. Il avait bien compris, à l’époque, que si la CADEC déposait le bilan, l’assemblée de Corse y serait pour 33% des en-cours, soit 90 millions d’euros. On a négocié et, aussi bien la CTC que l’Etat, ont accepté d’augmenter la trésorerie de la CADEC à hauteur de 8,7 millions d’euros (CTC) et 11,5 millions d’euros (Etat). Ces fonds ont permis de faire face aux échéances tout en poursuivant les recouvrements.
 
La CADEC a mis une quinzaine d’années pour éponger sa dette. À quoi attribuez-vous ce retournement de situation ?
 
Tout simplement au travail. Au sérieux de mon équipe, à la régularité, à l’approche intelligente, je pense, des dossiers. On n’a pas acculé les gens, nous avons négocié, accordé des remises, des délais, supprimé les pénalités, l’objectif consistait à récupérer nos en-cours. On a appliqué, avec la CTC, les programmes de restructuration du crédit et cela a aidé les entreprises à rembourser leurs dettes. Il ya eu aussi des mesures spécifiques à la Corse, notamment la zone franche qui a permis aux entreprises de se refaire une santé financière et de retrouver de la trésorerie. Nous sommes redevenus crédibles auprès des entreprises, des chambres de commerce, de l’ATC, de l’Office de l’Environnement, de la CTC et de l’Europe.
 
Vous avez redémarré, en 2010. Dans quelle configuration ?
 
Le scénario était presque surréaliste puisque nous avions réussi à éponger l’ensemble des dettes, tout en dégageant une marge financière de l’ordre de 32 millions d’euros dont 20 appartenaient à l’Etat et la CTC. On a demandé à l’Etat de laisser cet argent dans nos caisses pour nous permettre de redémarrer. Il a accepté à condition de pouvoir vendre ses participations (67%) à des opérateurs privés professionnels. La Caisse des dépôts et consignations (20%), le Crédit Coopératif (25,3%), le groupe Caisse d’Epargne-Banque Populaire (15%) et la Safidi, une filiale d’EDF Suez (6,7%). Ce sont des organismes professionnels et/ou institutionnels financiers. Par ailleurs, le montant de départ a augmenté considérablement à la suite de nouveaux partenariats avec l’ATC (4,5 M), l’Office de l’Environnement (1 M par an), la CAPA et le Conseil Général de Corse-du-Sud (500000 euros par an pendant trois ans), la CTC (2 M) ou l’Europe (9M). Aujourd’hui, la situation est bien meilleure et cela va nécessairement aller en s’améliorant.
 
Quelle a été votre activité lors de l’année écoulée ?
 
Nous avons examiné, en 2011, 196 projets et réalisé 14 comités d’engagement. Nous avons engagé, au total, 19 millions d’euros sur 187 projets. Des projets doivent être accompagnés par une banque. Il faut considérer que la CADEC a un effet de levier très important. Elle a permis de consolider 2000 emplois et d’en créer 291. Quand nous mettons un euro, 3,6 sont libérés par les banques et 6,3 investis par les entreprises. C’est très percutant.
 
La crise mondiale a-t-elle eu, selon vous, une incidence sur l’économie insulaire et sur votre activité ?
 
La crise est toujours là, il ne faut pas se leurrer. Ceci étant, nous avons, à la fois, en Corse, l’inconvénient et la chance d’avoir un tissu économique essentiellement composé de PME et TPE. Nous n’avons pas d’importants trusts ni de grosses entreprises. Les entreprises corses ont souffert relativement de la crise. L’impact n’y est forcément pas le même. On ne peut pas dire, par exemple, que la crise mondiale ait eu des répercussions sur le bâtiment en Corse, ou qu’elle ait touché les entreprises de moins de vingt salariés. Nous ne sommes pas dans cette logique. La seule entreprise qui aurait pu souffrir, c’est Corse Composite. Mais son carnet de commandes est plein pour les trois ans à venir.
 
Comment la CADEC vit-elle ?
 
Nous sommes payés à la commission. Quand on met une somme à notre disposition, nous avons des charges de fonctionnement qui représentent un pourcentage du montant alloué, généralement 2 à 3,5% en fonction des conventions passées avec les organismes. Ces montants permettent d’assurer le fonctionnement de l’organisme en couvrant, notamment, les frais de personnel (huit personnes). La CADEC fonctionne avec une partie de ces fonds versés, et, ne l’oublions pas, avec ses fonds propres, de l’ordre de 40 millions d’euros, qui produisent des intérêts.
 
Vous avez mis en place, au sein de votre organisme, un outil financier qui constitue une première au niveau national : l’avance remboursable. Comment fonctionne t-elle ?
 
Dans ce système, nous accordons aux entreprises, non pas un prêt, mais une avance remboursable. Un prêt implique une sûreté réelle, ici, notre système permet aux banques d’accorder un prêt complémentaire à notre avance et d’être sécurisées. Elle est octroyée à taux zéro et sans garantie, ce qui représente une économie pour les entreprises. Le délai maximal est de huit ans. En outre, ce système permet aux entreprises de bénéficier des fonds au début des travaux et non à la fin comme dans le cas d’une subvention. C’est un système performant puisqu’ après dix huit mois de fonctionnement, nous n’avons aucuns impayés.
 
Quelles sont vos perspectives à court terme ?
 
Nous allons demander l’extension de notre agrément afin de pouvoir prêter aux petites collectivités sur des opérations à caractère industriel et commercial. Sur certaines opérations lourdes, bien souvent, les collectivités n’ont pas l’autofinancement nécessaire. Nous allons donc, les accompagner. Tout comme les associations forestières et pastorales, où il y a une part importante des collectivités locales. Elles n’ont pas, non plus, les moyens d’apporter l’autofinancement et les fonds disponibles sur une opération importante. Notre système leur permettra d’avoir les fonds tout de suite, et, une fois, la subvention allouée, elle nous sera reversée.
 
Peut-on parler de banque régionale, telle que François Hollande souhaite les mettre en place ?
 
Avec les sociétés de développement régional, le système était particulier puisque nous avions plusieurs actionnaires : banques, sociétés d’assurance, soit des professionnels entre eux. François Hollande veut faire, aujourd’hui, une banque de développement économique régional qui associe OSEO, un organisme d’Etat et la Caisse des Dépôts. On existe déjà et nous allons voir de quelle manière nous pouvons nous inscrire dans cette dynamique. Ceci étant, la CADEC fonctionne déjà comme une banque régionale dans la mesure où l’Assemblée de Corse est actionnaire à 33%.

Propos recueillis par Philippe Peraut
jeudi 28 juin 2012, par Journal de la Corse